Gilmore Girls et l’américanité mythique
Paradis perdu, familier et folklorique, Stars Hollow n’est qu’un des multiples lieux où s’expriment l’idéalisation des Etats-Unis dépeinte dans Gilmore Girls.
Quittons l’urbanité de New York, la félicité de la Californie ou le mysticisme du Sud, et revenons ensemble aux “origines” des Etats Unis. Gilmore Girls nous plonge dans le Connecticut et dans le mythe originel du Mayflower, des Pilgrim Fathers et de l’Union. Cette Amérique paisible est chargée de stéréotypes positifs qui servent de terreau à l’intrigue de la série.
Avant de poursuivre votre lecture, je vous invite, si vous ne l’avez pas déjà fait, à aller lire le premier article que j’ai écrit sur Gilmore Girls ! Au moins les premiers paragraphes histoire d’avoir des éléments de contexte sur la série.
A quaint little town
L'arrière-plan des premières saisons, Stars Hollow représente une petite ville américaine idéale. Le melting pot devient enfin réalité. Tous les habitants se rejoignent tous les jeudis soir pour le Town’s meeting et régler leurs rares différends. La vie communautaire est consolidée par de nombreux événements saisonniers souvent colorés par l’histoire de la ville, comme le Founders Firelight Festival qui recouvre la ville des guirlandes lumineuses pour célébrer le jour de sa fondation ou les reconstitutions en costume de la guerre de Sécession au milieu de l’hiver. La ville offre une vision idéale des Etats Unis, y vivent en harmonie des habitants de tous les horizons : nombreuses scènes soulignent la cohésion entre les communautés religieuses de la ville.
Même si Star Hollow est décrite comme une ville de la campagne, moquée par ceux qui n’y habitent pas, tout y est. Plusieurs cafés, un hôtel, une librairie, un supermarché, un marchand de glace, un garage, un studio de danse, et le diner de Luke, tous accessibles en moins de dix minutes à pied, le rêve d’un centre-ville piéton. Lorsque Kirk offre ses services de vélo taxi dans l’épisode 17 de la saison 4, il est raillé parce qu’il est plus rapide de marcher d’un point à un autre. La voiture n’apparaît que pour les trajets vers Hartford, Chilton ou Yale, et encore les distances sont faibles. Stars Hollow organisée autour de son square est une rareté. Coïncidence peut-être, mais l’une de mes scènes préférées pointe également cette accessibilité. Lors de l’épisode 20 saison 6, April célèbre son anniversaire et, guidée par Lorelai, elle traverse la ville en courant avec ses amies. Du diner jusqu’au beauty shop, il n’y a qu’un pas. Et j’entends encore Lorelai crier “SERPENTINE”
La grande ville de New York est vue comme potentiellement dangereuse, incompréhensible - tout particulièrement dans la sequel. Se développe une vision presque luddite dans certains passages de la série. Luke ne supporte pas que l’on téléphone dans son diner. Taylor ouvre un marchand de glace style année 50. Lorsqu’un feu de signalisation est installé, il fonctionne mal et provoque un accident. Travailler à la petite supérette de quartier de Taylor fait de Dean un jeune homme responsable et appliqué, mais lorsque Jess travaille pour Walmart, c’est tout de suite plus négatif. Cette nostalgie passéiste, c’est peut-être ce qui plaît, et contribue à l’esprit Gilmore Girl.
Décrire Stars Hollow ainsi fait écho à une autre ville au riche folklore et nombreuses traditions : Mystic Falls. Le cœur de l’intrigue de Vampire Diaries se concentre autour de la ville, et est rythmé par ses événements saisonniers. Petites villes à la communauté soudée, Stars Hollow et Mystic Falls sont les deux exemples qui me viennent en tête.

Lorelai Gilmore working girl fan de Metallica
Lorelai a elle seule incarne le rêve américain. Self made woman ou presque. Elle quitte la maison de ses parents à 16 ans, enceinte, trouve un poste de femme de chambre à l’Independance Inn de Stars Hollow - independence encore une fois le passé des Etats Unis :) - Single working mother, elle grimpe les échelons, prend des cours du soir au community college local, obtient son diplôme et devient gérante de l’hôtel. Un parcours qui culmine lorsqu’elle décide d’ouvrir son propre petit hôtel, le Dragonfly Inn, avec Sookie et Michel ses collègues et meilleurs amis.
Le parcours de Lorelai Gilmore résonne avec une large part de la population américaine. Elle symbolise une vision presque stéréotypée du succès. Ses répliques sont truffées d’un cocktail exquis de références cinématographiques ou littéraires obscures et d’actualités pop culture plus terrestres. Outre ses fiascos amoureux, la vie semble sourire à Lorelai, elle s’est construite apparemment seule, sans le support de ses parents, sans avoir passé le SAT, ou être allée à l’université et vit confortablement en exerçant un métier qui lui plaît.
Nuançons cependant légèrement son profil. Même si elle n’a pas bénéficié directement de la fortune familiale pendant une grande partie de sa vie, elle en profite tout de même. Elle a fréquenté des écoles privées, a voyagé plusieurs fois en Europe et globalement a grandi dans un milieu privilégié. Capital économique non, mais culturel et symbolique oui. Et encore… Plus la série avance, plus ses parents l’aident à financer ses projets. L’élément perturbateur initial reste quand même cette discussion avec Emily et Richard durant laquelle elle leur demande de l’argent pour payer l’école de Rory. Face au système éducatif américain, Lorelai s’écroule et doit ramper chez ses parents pour obtenir de l’aide. Je me répète peut-être, mais son courage, celui de placer le bonheur de sa fille avant le sien, reste notable.
La soif de savoir
Grâce au personnage de Rory, Gilmore Girl explore le monde académique américain et propose un point de vue inverse aux séries comme Dawson Creek ou The OC où la réussite scolaire n’est qu’accessoire. L’académia est au cœur de l’intrigue de Gilmore Girl. C’est parce qu’elle souhaite rentrer dans une Ivy que Rory quitte Stars Hollow High pour intégrer une prep school privée et payante.
Dans les premières saisons, Rory apparaît à l’écran comme un rat de bibliothèque, elle ramène moins sa culture qu’Hermione Granger, mais comme elle est sans cesse à travailler. Au cours de la série, elle mentionne le titre de 339 livres qu’elle a lu. Cette soif d’excellence lui permet de rattraper son retard lorsqu’elle arrive à Chilton où le niveau est bien meilleur. Elle s’adapte aux règles injustes de l’école qui ne laisse pas de place à l’erreur. Tellement bien que les fans se souviennent tout particulièrement de son discours de Valedictorian lors de sa remise de diplôme à Chilton dans l’épisode 22 de la saison 3.
“I live in two worlds, one is a world of books”
Tout change lorsque Rory débarque à Yale. Les téléspectateurs découvrent un nouvel arrière-plan, une université américaine prestigieuse vue de l’intérieur. Les traditions, les matchs sportifs, les salles de classe, les bibliothèques, les sociétés secrètes. L’intrigue se sépare en deux, Lorelai à Stars Hollow face à Rory installée à Yale. De plus en plus, elle semble se focaliser sur cette dernière, désormais adulte et plus indépendante. La réussite académique prend moins de place, le rêve est accompli. L’attention se redirige vers le Yale Daily News et encore… j’ai presque l'impression que la série se focalise plus sur sa relation avec Logan au détriment du reste. Présomptueuse par instant, Rory n’imagine même pas l’échec. Ses grands-parents et sa mère la soutiendront quoi qu'il arrive même si on peut en douter par moment…
La vision noble du monde académique des premières saisons s’effrite. Les cours se placent tout en bas de la liste des priorités de Rory, qui finit par même quitter Yale. Elle s’en voudra plus tard - peut-être ? Ne pas avoir fait plus de stages ou avoir obtenu un master limitera ses possibilités professionnelles. Incapable de se remettre en question, perfectionniste, elle reste perpétuellement déçue. Sa rédemption ? Revenir à l’essentiel, à ce qu’elle connaît de mieux. Écrire l’histoire de la vie de sa mère et la sienne.
Rory trouve son alter ego académique dans le personnage de Jess. Lui aussi toujours prêt à débattre de ses dernières lectures, Jess a une trajectoire opposée. Dépeint comme un rebelle, il quitte le lycée pour travailler chez Walmart, quitte Stars Hollow pour New York. Sans ressources, sans soutien de ses parents, avec le peu que Luke lui offre, Jess, un Kérouac moderne, accomplira ses rêves. Il finit par travailler dans l’édition indépendante et écrire des nouvelles. Lui qui n’a pas eu la chance et les mêmes opportunités de Rory sera là pour la secouer dans la saison 6 et lui rappeler qu’il ne faut pas qu’elle gâche ce qui lui est offert.
Une représentation inégalitaire
Les Gilmore représentent une dynastie américaine quasi aristocratique, arrivée à bord du Mayflower et ayant participé à la guerre d’Indépendance des Etats Unis. WASP à souhait, alumni de Yale, Richard et Emily vivent confortablement dans leur privilège.
Logan représente lui aussi un autre penchant de la bourgeoisie américaine. Héritier d’une dynastie médiatique, il suit le chemin tracé pour lui par ses parents. De rédacteur absent du Yale Daily News, il finit avec une position confortable dans l’un des journaux de son père, largement inspiré par Rupert Murdoch. Très télévisuel - hello Succession - mais complément détaché de la réalité.
L’entourage de Rory et Lorelai reste majoritairement blanc et privilégié, surtout à mesure que les saisons avancent. Stars Hollow, Chilton, Yale, peu de minorités apparaissent à l’écran.
Le seule personnage secondaire de couleur à l’intrigue personnelle développée dans la série reste Lane, l’amie d’enfance de Rory.
Pourtant, même l’arc narratif qui lui est proposé est stéréotypé. Née dans une famille coréenne chrétienne hyper conservatrice, Lane s’américanise et se rebelle. Au contact des filles Gilmore, elle découvre sa passion pour la musique, rejoint un groupe de rock qui hélas ne décollera jamais et la laissera mariée au chanteur et avec deux enfants toujours à Stars Hollow. Me vient alors en tête la scène de l’épisode 4 de la saison 3 où comme toutes les adolescentes d’origine asiatique, Lane décide de se teindre les cheveux en violet, avant de tout de suite les reteindre en noir. Ce trope de la rébellion couplé à une évolution décevante n’aide pas face au manque de représentation de la série.
Autre époque, ou pression de la part du Family Friendly Programming Forum, la coalition d’annonceurs pour la promotion de séries destinées à un public familial ? Le personnage de Sookie, la meilleure amie de Lorelai était initialement queer. Mais sous la pression, Amy Sherman-Palladino a dû réécrire le personnage. Michel le concierge à l’accent français détestable ne sera autorisé à come out publiquement que dans le revival de 2015 financé par Netflix. Une sequel qui tente de répondre à ces problèmes avec une pointe d’humour. Dans l’épisode Spring, Taylor souhaite organiser une parade des fiertés mais il n’y a pas assez d’habitants de la commune queer pour y participer. Il est sous entendu que le personnage serait lui-aussi gay, aucune confirmation de sa part. Sans pour autant altérer l’image de la série, le revival tente de se rattraper. Bien essayé.
Gilmore Girl offre à ses spectateurs un voyage presque nostalgique vers une Amérique mythifiée. Dans cette bulle dorée où règnent les traditions, évoluent en harmonie les personnages d’une série très conventionnelle. Soft power ou pas, peu importe, Gilmore Girl me donne vraiment envie de visiter le Connecticut.
Un peu moins de Rory bashing dans cet article et encore un peu plus de propagande pro-Jess. Je ne change pas… Je garde dans un coin de ma tête l’idée d’explorer en profondeur les relations familiales. Je ne garantis rien, mais le brouillon est commencé. J’ai surtout encore plein d’anecdotes sur la série à vous partager :)
J’espère que cet article vous a plu, si c’est le cas n’hésitez pas à le partager et à souscrire à la newsletter pour ne pas manquer la suite de cette discussion sur Gilmore Girl ou sur d’autres séries et films que j’apprécie.
jeann.e